Une fiscalité des entreprises modérée et pragmatique constitue l'un des atouts de la Suisse. Dans le cadre des réformes d'ampleur désormais formellement validées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'association Fribourg International a organisé le 22 septembre dernier une conférence et table ronde à l'Université de Fribourg. Si les conséquences concrètes demeurent hypothétiques, les grands contours sont désormais clairs: la Suisse, comme Fribourg, vont au-devant d'un nouveau changement majeur… alors que la dernière réforme vient d'entrer en vigueur.
C'est une question à plusieurs milliards de francs: que va coûter à la Suisse la prochaine réforme de la fiscalité internationale des entreprises? L'accord conclu dans le cadre de l'OCDE est historique, a démontré Thierry Madiès, professeur d'économie politique à l'Université de Fribourg, après en avoir rappelé les deux principaux axes. Premier pilier: la répartition de l'impôt sur les bénéfices entre pays, et non plus prioritairement dans l'Etat où la société a son siège, pour les grandes multinationales (à l'exclusion du secteur financier et de l'industrie minière). Deuxième pilier: un taux minimum d'imposition à 15% à partir d'un certain seuil de chiffre d'affaires (750 millions d'euros). Pour rappel: 18 cantons appliquent actuellement un taux inférieur à cette marque.
Ces grandes lignes tracées, quatre experts se sont lancés dans un exercice de décryptage, emmenés par le rédacteur en chef et directeur de l'Agefi, Frédéric Lelièvre. A première vue, seuls les grands groupes internationaux seraient touchés, pas les PME. "Nous n'avons pas encore chiffré les effets d'une telle réforme, parce que nous n'en connaissons pas les détails, notamment l'assiette fiscale qui sera retenue, mais tout changement de la fiscalité déploie des effets sur les entreprises", a analysé David Staubli, économiste à l'Administration fédérale des contributions. Un constat confirmé par Xavier Vocat, Global Head of Tax chez Alcon qui s'exprimait de manière générale: "le taux d'imposition fait partie des critères primordiaux de la localisation des multinationales. Ce n'est pas le seul - beaucoup d'autres, comme la qualité de la main-d'oeuvre, entrent en jeu - mais il est crucial".
Pour la Suisse dans son ensemble, deux impacts majeurs pourraient se produire suite à la réforme qui prend forme dans les instances de l'OCDE. Premièrement, une diminution des recettes fiscales générées par les entreprises suisses, en raison de la nouvelle répartition entre pays, a noté David Staubli. "Les conséquences pourraient alors rapidement être perceptibles sur la péréquation intercantonale", a fait remarquer Alain Mauron, administrateur du Service cantonal des contributions. Dans quelle ampleur? C'est la grande inconnue!
Deuxièmement, les grands groupes pourraient être incités à moins investir en Suisse et davantage dans les pays où ils devront à l'avenir s'acquitter de leurs impôts. A ce stade, le degré d'alerte reste toutefois limité, comme l'a résumé Daniel Schafer, avocat-fiscaliste et partenaire chez Lenz & Staehelin: "Je ne suis pas encore très inquiet, car les entreprises ne vont pas partir en courant. Mais à plus long terme, la Suisse va être moins attractive, c'est un fait." A moins… de se montrer inventif et de prévoir des mesures compensatoires lors de la prochaine hausse de la fiscalité.
Il y a des possibilités d'agir en favorisant davantage la recherche et le développement ou en diminuant les charges sociales, par exemple. Mais le chemin à emprunter s'annonce pour le moins escarpé: d'une part, les compensations devront être ciblées tout en étant non liées à l'impôt. Un exercice difficile! Elles seront par ailleurs plus faciles à financer par les cantons les plus forts financièrement… ce qui renforcera leur position. Les prochains mois et années seront donc à nouveaux décisifs et lourds en arbitrages, quelques années à peine après l'entrée en vigueur de la RFFA (Réforme fiscale et financement de l'AVS).
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