Droits de douane et économie fribourgeoise: nouvelle donne
«Huit mois de nouvelle administration Trump: quels effets pour la Suisse et le canton de Fribourg?»: quelque 200 chefs d’entreprises, étudiants et invités ont tenté d’y voir plus clair le mardi 7 octobre 2025 lors d’un événement organisé par Fribourg International et l’Université de Fribourg, en partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie du canton (CCIF) et la Promotion économique fribourgeoise. Les réponses laissent entendre que le processus d’adaptation s’annonce difficile. Et de longue haleine.
Dirk Morschett, doyen de la Faculté des sciences économiques et sociales et du management, et Alain Touron, vice-président de Fribourg International ont tous deux ont planté le décor en rappelant que la nouvelle administration américaine a imposé en août dernier des droits de douane additionnel de 39% sur une large partie des marchandises suisses (médicaments exclus). Une décision aussi inattendue qu’incompréhensible, tant la Suisse fait partie du groupe qui investissent le plus aux Etats-Unis.
Directeur de la Promotion économique du canton de Fribourg, Jerry Krattiger a précisé que les secteurs les plus touchés sont l’horlogerie, l’industrie des machines, la pharma et l’alimentaire. «Les États-Unis, c’était le beurre dans les épinards de l’économie suisse», a-t-il rappelé, avant d’exprimer sa consternation face à la politique commerciale de l’administration américaine en place. «Mais nous avons les ressources pour surmonter cette situation», a-t-il toutefois ajouté.
Des règles internationales bafouées
«Les violations des règles internationales ne datent pas d’hier, preuve en sont l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 ou le sauvetage du secteur financier en 2008, qui ne respectaient déjà pas les principes établis», a lancé Thomas Veraguth, Chief Investment Officer d’UBS Global Wealth Management, en élargissant la perspective historique. Son constat est sans détour: la Suisse figure parmi les économies les plus compétitives au monde. Et elle se trouve aujourd’hui lourdement pénalisée. «Il n’y a pas d’alliés, il n’y a que des intérêts économiques», a -t-il fait remarquer.
L’administration Trump atteint-elle au moins ses propres objectifs? «On ne constate à ce stade aucune réindustrialisation ni aucun impact sur l’inflation. Il n’y a donc aucun changement à attendre à court terme de la part de l’administration américaine», a analysé Thomas Veraguth. Le dollar devrait continuer à s’affaiblir, tandis que l’excédent commercial suisse restera «catastrophique». La situation monétaire ne s’annonce pas meilleure: les taux à long terme resteront élevés, la dette américaine continuant de s’envoler. «Il faut s’adapter en se basant sur ces faits», a-t-il conclu.
Impacts divergents sur les entreprises
La table ronde qui a suivi a donné la parole à plusieurs acteurs économiques de la région : Thierry Madiès, professeur à l’Université de Fribourg ; Shoko Nilforoushan, CEO de Medistri ; Stéphane Page, CEO de Condis ; et Olivier Isler, directeur de l’Interprofession du Gruyère, aux côtés de Krattiger et Veraguth.
Shoko Nilforoushan a expliqué que 20% des exportations de son entreprise trouvent le chemin des États-Unis, mais que 40 à 50% de ses clients sont liés à ce marché. Une expansion est actuellement envisagée aux Etats-Unis. Et l’entreprise avait déjà anticipé les évolutions géopolitiques: «nous avons investi en Hongrie il y a deux ans et pourrions y renforcer notre présence ».
Pour Olivier Isler, les répercussions sont plus immédiates: la filière du Gruyère AOP, qui exporte pour 150 millions de francs vers les États-Unis (13% de son volume total), a vu ses commandes chuter de 25% depuis l’instauration des nouvelles taxes. «Nos producteurs subissent une hausse de prix de 25% depuis août, qui s’ajoute à une précédente augmentation similaire», a-t-il détaillé, soulignant que la filière du gruyère, qui regroupe 1600 producteurs et 4500 emplois, se trouve sous forte pression.
Stéphane Page, pour sa part, a apporté une note plus nuancée. Sa société Condis, active dans les composants pour réseaux électriques, évolue dans un marché de niche en plein essor. Les investissements massifs dans les infrastructures américaines compensent, selon lui, les effets négatifs des taxes. «Nos produits ne représentent qu’une faible part du coût total des projets.» L’entreprise a par ailleurs contourné la difficulté en fabriquant localement via un partenaire américain, limitant ainsi l’impact des droits de douane.
Moins d’investissements en Suisse
Revenant sur la situation générale, Thomas Veraguth a estimé que les entreprises suisses font preuve d’une grande capacité d’adaptation, mais que cela se traduira probablement par une baisse des investissements en Suisse. Le stratège invite à rester rationnel et mesuré: «dire que les États-Unis ne sont pas un partenaire fiable n’apporte rien.»
Enfin, Thierry Madiès a clos les échanges sur une note plus politique, estimant que la marge de manœuvre de la Suisse se réduit face à la multiplication des accords de libre-échange entre grandes puissances. «Il est essentiel de miser sur les Bilatérales III avec l’Union européenne», a-t-il insisté, jugeant qu’il s’agit désormais d’une priorité stratégique pour maintenir la compétitivité du pays.